Denis de Rougemont Cérémonie du Centenaire

« Rien ne devient jamais réel qui n’ait d’abord été rêvé. »

Cérémonie de commémoration du centième anniversaire de la naissance de Denis de Rougemont

 

Vendredi 8 septembre 2006
Conservatoire de Musique, Place-Neuve, Genève
(dès 15 heures)


 

Cérémonie placée sous le patronage du Canton et de la Ville de Genève, ainsi que de l’Office fédéral de la Culture

 
Introduction et rappel du parcours de Denis de Rougemont (15 mn)
Par Claude Haegi, Président de la Fondation Denis de Rougemont pour l’Europe

Lecture du  » Message aux Européens «  (Déclaration finale du Congrès de La Haye de mai 1948, rédigée par Denis de Rougemont) (5 mn)

Message de Terry Davis, Secrétaire général du Conseil de l’Europe (10 mn), lu par Jean-Claude van Cauwenberghe, ancien Ministre-Président de la Wallonie, chef de la délégation belge au Congrès des Pouvoirs Locaux et Régionaux du Conseil de l’Europe

Allocution de Jean-Frédéric Jauslin, Directeur de l’Office fédéral de la Culture (10 mn)

Allocution du Conseil d’Etat (Gouvernement) de la République et Canton de Genève, représenté par M. Laurent Moutinot, chef du Département des Institutions (10 mn)

Pause Musicale (15 mn)
Arthur Honegger, Sonate pour violon et violoncelle, interprétée par des élèves du Conservatoire de Musique de Genève (Emilie Sauzau, violon ; Clémence Tiquin, violoncelle)

Denis de Rougemont, la Suisse et la Fédération européenne (20 mn)
Par Dusan Sidjanski, Président du Centre Européen de la Culture

Le rôle de la culture et des régions dans la construction européenne selon Denis de Rougemont (20 mn)
Par François Saint-Ouen, Secrétaire général de la Fondation Denis de Rougemont pour l’Europe

Denis de Rougemont et les études européennes à Genève (20 mn)
Par Henri Schwamm, ancien directeur de l’Institut Universitaire d’Etudes Européennes de Genève (ayant succédé à Denis de Rougemont à ce poste)

Denis de Rougemont et l’écologie (20 mn)
Par Laurent Rebeaud, ancien Conseiller national, chef du Bureau d’Information et de Communication du Canton de Vaud

Pause musicale (15 mn)
Frank Martin, Trio sur des thèmes populaires irlandais, interprété par des élèves du Conservatoire de Musique de Genève (Emilie Sauzau, violon ; Clémence Tiquin, violoncelle ; Saya Hashimo, piano)

Lecture d’un extrait de Denis de Rougemont (5 mn)

Lancement du Prix Denis de Rougemont destiné à récompenser un travail de maturité d’un élève du Canton de Genève.

« Denis de Rougemont, une source d’inspiration pour l’avenir »
par Claude Haegi

Réception (Vin d’honneur offert par la Ville et le Canton) – vers 17h30

M. Claude Haegi : allocution d’ouverture
Allocution d’ouverture de M. Claude Haegi, Président de la Fondation Denis de Rougemont pour l’Europe.

Mesdames et Messieurs,

Quel sens voulons-nous et faut-il donner à ce centième anniversaire de la naissance de Denis de Rougemont ? Honorer sa mémoire et son œuvre, certes. Mais aussi approfondir cette dernière pour mieux se projeter vers l’avenir. Les diverses interventions que vous entendrez retraceront le chemin de cette exceptionnelle vie spirituelle, intellectuelle et historique. Il y a lieu aujourd’hui de se rappeler, ou de découvrir, la puissance et l’ampleur de la pensée de Denis de Rougemont et sa capacité d’initier et d’engager l’action. L’homme de « Penser avec ses mains » retroussait ses manches, et en sportif qu’il était (du moins dans sa jeunesse), sur le terrain se battait.

Son œuvre et ses engagements sont construits autour d’une idée de l’Homme, en tant que Personne, opposé à l’individu qui s’isole et rejette le sens de la solidarité. L’homme doit être libre et ne l’est que s’il est responsable. L’Etat, et ses corps administratifs, ne peuvent s’emparer de l’ensemble des activités d’un pays sans déresponsabiliser ceux qui l’habitent.

Pour développer ses critiques et réflexions, Denis de Rougemont entendait être complètement libre. Ses lieux de confrontations d’idées devaient être largement ouverts. Des partis politiques, il se distançait, les trouvant trop rigides pour accepter de vrais et vifs débats porteurs de réformes profondes. De Rougemont jugeait sans doute l’ensemble des partis trop conservateurs pour cela. C’est pourquoi avec ses amis des cercles de pensée, de Paris notamment, il entendait se situer en dehors d’eux avec une devise « ni gauche, ni droite, mais en avant des problèmes ». Devant l’affaiblissement de l’influence, voire d’une certaine déliquescence des formations politiques traditionnelles et leur besoin de se réformer, dans l’ensemble du monde occidental et démocratique, le sujet est d’une brûlante actualité.

La personne est donc au centre de sa vision des Institutions et de la construction fédéraliste européenne qu’il imagine.

De Rougemont promeut le principe de subsidiarité, avant qu’il n’en porte le nom. Ceci signifie que l’entité la plus proche du citoyen, en général la commune, puis la Région, soit compétente pour toutes les activités qui ne justifient pas, par soucis d’efficacité et de coûts, de passer à l’Etat central et encore moins dans des structures administratives européennes ou internationales qui démantèleraient les identités régionales et les diversités culturelles au profit d’une unification appauvrissante.

La personne, la famille puis la communauté de proximité, celle dans laquelle on grandit et où on partage le quotidien, sont pour lui les fondements de notre société. A ce niveau, la nature nous est proche. Il est aisé de l’observer, de prendre conscience de sa fragilité. De Rougemont a constaté qu’on la martyrisait alors qu’elle est source de vie. De célèbres naturalistes genevois nous en avaient fait découvrir les richesses. Ils ont démontré ce qu’étaient les subtils équilibres écologiques planétaires et ont fait de notre Cité un centre de références.

De Rougemont a compris que le développement économique légitimement recherché dès l’après-guerre, porteur de prospérité et de bien-être, véhiculait aussi des effets pervers qu’il fallait combattre.

La bataille pour un développement qualitatif, respectueux de la nature, était lancée. C’était il y a une quarantaine d’années, et l’on couvrait de ridicule ceux qu’on appelait « écolos » sur un ton méprisant. Peu avant sa mort, De Rougemont pensait que la cause écologique avait fait des progrès gigantesques dans le monde entier. La raison l’aurait emporté. Tel n’est malheureusement pas le cas. Sur ce point aussi l’influence du pouvoir local et la responsabilité de la personne sont déterminants.

De Rougemont avait une belle formule en définissant la Région comme une « grappe de communes », avec ses villes et villages. La Région est pour lui un espace naturel, à taille humaine, ne s’arrêtant pas sur une frontière politique. Là on préserve son identité, ses valeurs, son histoire. Nullement replié sur soi même, on s’ouvre volontairement vers l’extérieur dans un esprit fédéraliste respectant la culture de chacun. Jean Monnet a longtemps observé de Rougemont avec un peu de condescendance. Il aurait pourtant finalement admis qu’il eût fallu commencer la construction de l’Europe par la culture, dont ce dernier ne minimisa point dans ses écrits l’importance, et protesta même contre le dédain dans lequel souvent on la tient.

Genève doit beaucoup à ceux qui, venus d’ailleurs, s’y sont installés et ont contribué grandement à son évolution, à son ouverture sur le monde et à sa réputation. Denis de Rougemont, continuateur de l’Esprit de Genève, en est un exemple remarquable. Certes citoyen suisse, mais venu d’ailleurs, ce natif de Couvet, dans le Val de Travers, cette partie du haut du canton de Neuchâtel, a surtout beaucoup voyagé avant de s’installer ici après son retour des Etats-Unis en 1947. Pionnier de la Région transfrontalière, il l’expérimenta concrètement puisqu’il vécut d’abord à Ferney-Voltaire puis à Saint-Genis Pouilly en France voisine et travailla de nombreuses années dans la villa Moynier du Parc Mon Repos qui accueillait, grâce à la Ville de Genève, le Centre Européen de la Culture et l’Institut Universitaire d’Etudes Européennes qu’il avait créé.

Avant de l’animer depuis Genève, c’est à l’étranger que de Rougemont s’ouvrit sur son dialogue des cultures. En 1930, licence en poche, âgé de 24 ans, il quitte son canton pour Paris. Jusqu’au début de la deuxième guerre mondiale il y passe plusieurs années qu’il qualifie d’extraordinaires et y trouva de multiples écoles de pensée nouvelles. Avec ses amis, venus des quatre coins de l’Europe, il développe des théories politiques basées sur un fédéralisme qui n’est pas naturellement de mise dans la capitale d’un Hexagone si centralisateur. C’est à Paris qu’il publie notamment « Politique de la personne » et « Penser avec les mains ».

En 1935-1936, cherchant du travail, il s’installe à l’Université de Francfort où il est lecteur de français. Il y assiste à un discours d’Hitler, événement pour lui marquant et traumatisant. Dans son journal d’Allemagne paru en 1938, il dira tout le mal qu’il pense du nazisme, interprété comme un paganisme délirant, célébrant le culte du nationalisme.

Juste avant la guerre, de Rougemont, sort son livre le plus connu « l’Amour et l’Occident » que d’autres intervenants évoqueront cet après-midi. Il figure parmi les fondateurs de la ligue du Gothard, avec des gens de droite et de gauche, prônant une résistance déterminée à Hitler. Le 15 juin 1940, apprenant l’entrée des allemands dans Paris, il est sous le choc et écrit spontanément deux pages qui ne sont pas neutres pour la Gazette de Lausanne. Curieusement la censure interne les laisse passer, en fait la première page, et titre « A cette heure où Paris exsangue voile sa face de nuages et se tait »

Déclaré aux arrêts pour atteinte à la neutralité et mise en péril de la sécurité de la Suisse, cet officier devint si gênant dans notre pays qu’on l’expédia en mission de conférences le plus loin possible : aux Etats-Unis. Il y restera jusqu’en 1947. En Amérique, il continue de publier et prolonge ses réflexions sur le nazisme et le totalitarisme. Il rédige des bulletins radiophoniques français de « La voix de l’Amérique » destinées aux résistants.

Revenu définitivement en Europe en 1947, il se bat pour que le vieux continent devienne le premier noyau d’une fédération mondiale.

L’écrivain se mue alors en militant européen. Il est un des personnages-clés d’événements décisifs, comme le célèbre Congrès de La Haye de mai 1948, présidé par Winston Churchill en présence notamment de Robert Schuman et de Konrad Adenauer, dont l’importance dans la construction européenne est historique. Il y est à la fois rapporteur de la commission culturelle et rédacteur de la Déclaration finale. Cette dernière jette, entre autres, les bases de ce qui deviendra le Conseil de l’Europe, cette école de la démocratie, et la Cour européenne des Droits de l’Homme.

Il va ensuite développer son idée originale de la construction de l’Europe par la culture. C’est ainsi qu’il organise en décembre 1949, à Lausanne, la première Conférence européenne de la Culture qui donne une impulsion décisive à la création du Centre Européen de la Culture, inauguré à Genève en octobre 1950, dont il prend la direction. En 1954, il crée, également à Genève, la Fondation Européenne de la Culture qui s’installera à Amsterdam en 1957.

Au Centre Européen de la Culture, Denis de Rougemont déploie de nombreuses activités pionnières. Il est à l’origine, dès décembre 1950, de la création de ce qui sera le CERN, expression de sa volonté d’européaniser la recherche de pointe.

Il lance, à travers le Centre Européen de la Culture, de nombreuses initiatives, dont la Campagne d’Education Civique Européenne qui va, durant près de quinze ans, former des enseignants du primaire et du secondaire pour qu’ils puissent initier leurs élèves à la problématique européenne.

Soucieux de mettre véritablement le citoyen au centre de la construction européenne, il donne à partir des années 1960 à l’ « Europe des Régions » la forme d’espaces de participation civique.

Cet accent sur le civisme et sur les régions comme espace de participation, mènera Denis de Rougemont, dans les vingt dernières années de sa vie, à intensifier sa réflexion sur l’écologie et son opposition absolue à l’énergie nucléaire que l’on développe sans en maîtriser la totalité du cycle. Cette réflexion culminera dans son dernier grand ouvrage, L’avenir est notre affaire, paru en 1977.

Tiraillé au départ, dans sa prise de conscience morale, entre plusieurs sources contradictoires, le jeune homme fixa son cap et jusqu’à son dernier souffle, De Rougemont s’est mis au service d’une société dont l’homme en tant que personne libre et responsable est le centre. Tous les espoirs passent par ce cheminement. Que faisons-nous de cet exceptionnel héritage ? De cela nous parlerons durant cette cérémonie d’anniversaire que nous voulons porteuse d’espoirs et notre discours de conclusion contiendra des suggestions concrètes pour que l’avenir soit vraiment notre affaire.

Allocution de Jean-Frédéric Jauslin
Allocution de Jean-Frédéric Jauslin, directeur de l’Office fédéral de la culture

Monsieur le Président de l’Union pour l’Europe fédérale,
Madame la Conseillère d’Etat,
Monsieur le Président,
Mesdames, Messieurs

Au cours de ces semaines passées, j’arpentais les longs couloirs du bâtiment de la Bibliothèque nationale et de l’Office fédéral de la culture. Je me suis alors imaginé Denis de Rougemont en 1940, fringant officier de l’armée suisse, arpenter ces mêmes couloirs, et compulser des dizaines de bouquins sur la Suisse pour la section Armée et Foyer. L’anecdote figure dans le Journal d’une époque. Cette vision a inspiré mes propos d’aujourd’hui, qui touchent à Denis de Rougemont, à la défense spirituelle et à la politique culturelle de notre pays en général.

Les historiens ont été nombreux dès les années septante à critiquer la défense spirituelle. Ce courant politique et culturel voit ses origines remonter aux années 1880-1920, il s’épanouira pleinement durant l’entre-deux-guerres et aboutira à sa charte, qui date de décembre 1938 : le Message du Conseil fédéral concernant les moyens de maintenir et de faire connaître le patrimoine spirituel de la Confédération . Les uns ont dénoncé les malentendus et les ambiguïtés de cette défense de nos valeurs nationales, d’autres ont voulu y voir des tendances ultra conservatrices, voire national-socialistes et fascistes. Ce courant drainait en fait des tendances fort diverses : les adeptes de la défense spirituelle ne sauraient être rangés dans l’une ou l’autre de ces catégories.

Certaines conférences de Denis de Rougemont, reprises dans Mission ou démission de la Suisse, nous le font voir sous un angle tout particulièrement intéressant, Rougemont interpelle alors ses compatriotes, les incitant à résister sans compromis aux idéologies national-socialiste et fasciste : Ces conférences sont un plaidoyer vibrant en faveur d’une pensée libre et responsable.

Mobilisé le 2 septembre, Denis de Rougemont est très vite transféré à la section  » Armée et Foyer  » de l’Etat-major général de l’armée, à Berne. L’objectif de cette section, créée par le général Guisan, est d’éduquer les soldats, de maintenir le moral de l’armée, d’entretenir un esprit de défense et de responsabilité en organisant des débats et des conférences. C’est là que Rougemont est envoyé potasser l’histoire suisse, disant non sans humour de sa situation :  » ainsi les uns creusent le sol aux frontières, et moi je fouille et je pioche une bibliothèque « .

Denis de Rougemont va adhérer à la Ligue du Gothard, qui se situe dans la droite ligne des convictions défendues dans le cadre de la Section Armée et foyer : primauté des valeurs spirituelles, défense des idéaux démocratiques, respect des institutions démocratiques. Avec cette adhésion, Denis de Rougemont s’engage très concrètement dans les préoccupations du moment. Il y jouera un rôle important, mais très tôt des divergences se manifestent entre lui et la Ligue. Le 17 juin 1940, Denis de Rougemont publie dans la Gazette de Lausanne un billet d’humeur où il dénonce l’arrivée d’Hitler à Paris. Ce geste est fatal à sa carrière : démobilisé au mois d’août, Denis de Rougemont est officiellement invité par Pro Helvetia à New York pour y tenir des conférences. Il ne rentrera plus en Suisse. Dans les faits, il est mis à l’écart, son franc-parler devenu trop dangereux.

Denis de Rougemont va par la suite de plus en plus s’intéresser à l’Europe, en gardant cependant toujours la Suisse en ligne de mire.

Que retenir de Denis de Rougemont, Mesdames et Messieurs ?
Pour les instances fédérales de soutien à la culture que je représente, Denis de Rougemont est porteur de deux messages qui prennent tout leur sens aujourd’hui. En premier lieu, il met en évidence la responsabilité civique, défendant avant tout le maintien d’un idéal démocratique, fondé sur la liberté d’expression et sur la poursuite d’un consensus aussi large que possible. En second lieu, et cela me paraît plus fondamental encore, Denis de Rougemont défend l’engagement intellectuel conçu non pas comme un militantisme sectaire au service d’une idéologie, mais au sens d’une résistance morale et spirituelle, basée sur une philosophie propre.

L’État et la culture divergent profondément dans leurs intérêts, pense-t-on souvent. Le rôle de l’État et le rôle de la culture dans la société seraient antagonistes. L’histoire de la politique culturelle de la Confédération depuis 1945 tend à confirmer cette vision des choses. Depuis la fin des années soixante, on ne parle plus guère de défense spirituelle. Dans les années septante et huitante, différentes conceptions des rapports entre la culture et l’Etat ont vu le jour et se sont affrontées dans les médias. Au tournant de l’année 2004, les débats soulevés par l’affaire Hirschhorn ont remis en cause l’image de la Suisse à l’étranger, la place de l’artiste dans notre société et le rapport entre l’art et l’Etat. Quant à la Fondation Pro Helvetia, son travail et son budget font régulièrement l’objet de nouvelles attaques. Bien avant que n’éclatent les remous causés par l’exposition du Centre culturel suisse à Paris, les parlementaires avaient déjà confié au Conseil fédéral le mandat de revoir ses tâches, ses compétences et son rôle.

Dans un contexte de changement pour la politique culturelle suisse, la figure de Denis de Rougemont permet de prendre du recul, de s’interroger sur les attentes que peut avoir l’Etat de la culture, d’une part, sur les enjeux que présente la culture pour l’Etat, d’autre part. Il préconise, contre les postures réactionnaires, contre la résistance au changement, une interrogation constamment renouvelée sur la réalité de notre monde, une résistance aux totalitarismes, et au conformisme. L’attachement de Denis de Rougemont au fédéralisme fait écho dans la notion actuelle de diversité culturelle, notion défendue au niveau universel, qui nous tient tout particulièrement à cœur en Suisse, est-il besoin de le dire. Denis de Rougemont nous permet enfin d’appréhender notre place dans la société et le rôle de la culture avec le courage intellectuel dont lui-même a fait preuve.

Suivons le fil de sa pensée, elle nous est très profitable, encore aujourd’hui. Je vous souhaite de bons moments en sa compagnie.

Allocution du Prof. Henri Schwamm
Denis de Rougemont et les études européennes à Genève
Par Henri Schwamm, Professeur honoraire d’économie de l’Université de Genève, ancien directeur de l’Institut universitaire d’études européennes de Genève

En 1962 – donc il y a 44 ans – quelques personnalités genevoises, dont le Conseiller national Alfred Borel et le Professeur Jacques Freymond, directeur de l’Institut universitaire de hautes études internationales, conçurent le projet de créer à Genève, à partir du Centre européen de la culture et de ses ressources en hommes et en connaissances, un Institut d’études européennes.

La proposition rencontra l’accueil immédiatement favorable des autorités cantonales et du Rectorat de l’Université de Genève. Le 15 février 1963, les trois premiers enseignants (Denis de Rougemont, comme professeur d’histoire des idées, Dusan Sidjanski, comme chargé de cours de science politique et Henri Schwamm, comme chargé de cours d’économie) furent nommés par arrêté du Conseil d’Etat.
[…]
Pour Denis de Rougemont, la notion d’inter- ou de transdisciplinarité trouvait son plein sens et sa meilleure illustration dans le cas des  » études européennes « , expression souvent mal entendue et qui pouvait laisser croire, par une erreur courante à l’époque, qu’on se trouvait en présence d’un simple cas particulier des  » études internationales « .

L’Europe en tant qu’objet d’études – Denis ne cessait d’y insister – n’est pas chose univoque et allant de soi, comme la chimie, le droit ou la géographie :  » Considérée sous le seul aspect de l’économie, ou du droit, ou des relations politiques, précisait-il, l’Europe devient plate ou abstraite et l’on conclut bien vite à son inexistence (…). En tant qu’objet d’études et complexe de problèmes à la fois urgents et concrets, l’Europe ne prend son vrai volume et son relief spécifique, qu’au croisement des faisceaux lumineux que projettent toutes les disciplines. Et, en retour, ces disciplines, du fait même de leur mise en convergence, réagissent les unes sur les autres « .

A l’adresse surtout des Facultés de notre Université qui ne se sentaient alors guère concernées par les problèmes européens, quand elles n’y étaient pas franchement hostiles, l’homme de culture Denis de Rougemont tenait à expliciter en ces termes le processus de ces interactions transdisciplinaires :  » Partant de l’idée que l’Europe s’est définie au cours des siècles non comme fait géographique mais comme unité de culture, il apparaît indispensable de s’interroger avant tout sur les rapports entre union politique à édifier et unité culturelle existante. Et de poser le problème de l’identité et de la structure des groupes sociaux, nationaux, régionaux, locaux, c’est-à-dire des formes spécifiquement européennes de communautés humaines, de la Cité grecque à l’Empire, et de l’Etat-Nation aux Régions. Il y aura lieu d’étudier alors les multiples liens qui s’établissent entre communautés humaines, leurs modèles d’organisation, et particulièrement le modèle fédéraliste, qui vise à garantir la plus grande autonomie des personnes et des groupes par le moyen d’un ensemble efficace de solidarités instituées.

Le problème des relations de pouvoir entre groupes sociaux conduira tout naturellement à l’étude de l’interdépendance politique, des relations juridiques et des mécanismes de coopération économique au niveau de la construction européenne.

Enfin, le phénomène régional, tel qu’il se manifeste actuellement en Europe, concrétisera, sur le plan de la vie quotidienne des populations du continent, les thèmes fédéralistes, communautaires, économiques et politiques, objets des enseignements de l’Institut « .

On l’aura compris, pour étudier l’Europe et les problèmes de sa construction, on ne saurait recourir à une seule discipline, ni même à la simple juxtaposition des résultats de trois ou quatre disciplines bien distinctes. Les études européennes exigent de ceux qui s’y livrent la vision bien déployée (en grand angulaire, dirait un photographe) des  » interactions en diachronie et en synchronie de facteurs idéologiques, économiques, anthropologiques et politiques « .

Ce qui est vrai pour les disciplines universitaires traditionnelles – l’histoire, le droit, la science politique ou l’économie – l’est doublement pour l’étude du phénomène régional auquel Denis de Rougemont vouait tant de soins. Il avait d’ailleurs fait, non sans mal, de la recherche sur la région lémano-alpine, le  » projet majeur  » de l’Institut. Cette spécialisation genevoise devait permettre une étude en laboratoire des régions frontalières de l’Europe. Bel hommage à la Cité de Calvin ! Elle devait, cette spécialisation, apporter des réponses à des questions telles que : l’Etat-Nation de type européen est-il encore une réalité avec laquelle il faut compter à long terme ? Est-ce une formule à dépasser ou à maintenir ? Peut-on envisager un autre type d’organisation du pouvoir, et si oui, lequel ? La région est-elle un moyen de dépasser l’Europe légale et d’atteindre l’Europe réelle ?

Plus concrètement, c’est probablement le problème des frontaliers, c’est-à-dire des ouvriers et employés résidant dans l’Ain et la Haute-Savoie, mais travaillant à Genève, qui a éveillé chez les Genevois comme chez leurs voisins, la conscience d’une entité régionale sous-jacente, qui ne demanderait, pour exister, qu’à être libérée de cette frontière dont Denis voyait de moins en moins la raison et le sens, mais dont il ressentait de plus en plus la nuisance.

Denis de Rougemont s’était lancé dans cette aventure régionale non sans mal. En effet, dans les milieux scientifiques de l’époque, on estimait le sujet purement spéculatif, voire  » trop nouveau « , donc dépourvu de tout sérieux… scientifique. Il a mis d’autant plus d’ardeur à démontrer le contraire. Ecoutons-le :  » Objet nouveau pour la recherche, qui ne peut être repéré d’abord, puis éventuellement défini, qu’au carrefour de la géographie, de l’économie et de l’écologie, mais aussi de données historiques, sociologiques et culturelles ; objet donc qui n’existe pas pour une seule discipline ou dans un seul secteur, mais qui est pluridisciplinaire en soi, par son approche même et sa définition ; réalité qui est encore à construire (…), la région frontalière franco-genevoise sollicite l’imagination des chercheurs, mais celle-ci ne saurait opérer dans le vide : elle a faim de réalités (chiffrées ou non) à déchiffrer, à brasser et réordonner, et finalement à composer en un modèle virtuellement  » opérateur  » ou directeur. Il faut tout inventer dans ce domaine : l’objet de la recherche autant que sa problématique, la définition des problèmes autant que leurs solutions, et parfois le vocabulaire de l’exercice « .

Il y avait évidemment là de quoi inquiéter, voire désarçonner, des universitaires chevronnés, profondément marqués par leurs traditions disciplinaires et qui ne cessaient de recommander aux jeunes enseignants de l’Institut de surtout veiller à s’ancrer dans leur discipline d’origine avant de s’engager dans de hasardeuses divagations européennes.

Mais Rougemont ne céda pas :  » L’exemple franco-genevois offre une illustration vivante de la nécessité concrète de solutions transnationales d’un type nouveau. A ce titre, il constitue un objet de recherche scientifique privilégié « , asséna-t-il sans ménagement à l’intention des incrédules. Et ils étaient nombreux.

En 1976, dans un climat académique apaisé, Denis de Rougemont était moins sur la défensive quand il expliquait que son enseignement ne se réduisait pas à la transmission d’un savoir, même s’il y voyait son premier devoir :  » Il consiste surtout, précisait-il, à éveiller dans l’esprit de l’étudiant le sens de la problématique européenne, puis à formuler les problèmes du présent, enfin à leur imaginer des solutions. C’est dire que le non-savoir, motif de toute recherche, et le virtuel, objet de la prospective, sont plus encore que le savoir ce que j’ai le désir de transmettre, c’est-à-dire de rendre sensible et comme urgent à la conscience des participants d’un séminaire ou des auditeurs d’un cours. Car penser, après tout, ce n’est peut-être que cela : mettre en système du savoir et du non-savoir, du réalisé – ce sont les  » faits  » – et du virtuel ou potentiel, c’est ce qui reste à faire. C’est peut-être ce que je pressens sans le connaître, qui apparaîtra un jour comme étant le principal de ce que j’avais à faire passer, dans le cadre rigoureux du savoir vérifié « .

Quand on insinuait devant lui que l’Institut, en étudiant l’Europe, se contentait d’étudier un problème d’actualité, en vue de lui trouver des solutions pratiques, et ne faisait par conséquent pas de recherche fondamentale, Denis de Rougemont réagissait vivement en avouant qu’il saisissait mal l’opposition de nature que l’on semblait faire entre la recherche fondamentale et la science appliquée. L’argumentation vaut la peine d’être rappelée. La voici :  » Fondamentale correspond, dans l’esprit du public et d’un grand nombre d’universitaires, à l’idée d’une recherche théorique, gratuite dans ses motivations, c’est-à-dire sans souci d’applications immédiates. C’est ainsi, nous dit-on, que le CERN étudie la constitution de la matière par besoin de savoir pur (…). Bien. Mais les gouvernements qui financent l’organisation le font en vue des applications non prévues mais prévisibles qu’ils en attendent pour leur production d’énergie et pour leur défense nationale. Ils n’ignorent pas que E=mc2 a donné la victoire militaire aux USA et permis d’aller sur la Lune. Pour eux, la recherche fondamentale est celle qui peut  » rendre  » en vingt ans, pour le prestige et la puissance de l’Etat, mille fois plus que la recherche appliquée ne peut rendre en deux ans pour l’industrie. Vous voyez que la recherche fondamentale n’est pas aussi  » gratuite  » qu’on le croyait : il arrive même qu’elle soit la mieux payée et la plus payante au bout du compte « . Fin de la démonstration.
[…]

Allocution de M. François Saint-Ouen
Le rôle de la culture et des régions dans la construction européenne selon Denis de Rougemont
François Saint-Ouen*

« Si c’était à refaire, je commencerais par la culture ». Jean Monnet ne l’a pas fait, pas plus qu’il ne l’a dit, puisque cette phrase, souvent citée comme authentique dans les années 1990, est apocryphe. Il ne s’agit pas par là d’opposer Denis de Rougemont à Jean Monnet, exercice vain et un peu facile, mais cela permet de préciser que c’est à Genève, beaucoup plus qu’à Bruxelles, qu’a flotté le drapeau de l’Europe de la Culture.

Pour Denis de Rougemont, au contraire de Jean Monnet, l’union de l’Europe ne peut se faire seulement par la politique ou l’économie, caractérisées par des rapports de forces changeants. Il faut des bases plus solides et plus permanentes : la culture et les valeurs qu’elle porte. La culture selon lui n’est pas seulement la littérature ou les Beaux-Arts, mais un principe d’action, un guide de l’action.

Pour lui, la culture européenne est UNE, même si elle est diverse. C’est une « unité non unitaire » qui appelle le fédéralisme, union dans la diversité et même pour les diversités (puisqu’il a pour objectif de les pérenniser). Cette unité de culture non unitaire explique une grande partie du génie de l’Europe – une grande partie de ses tourments aussi. Il écrit ainsi : « Etant donné que la base de notre unité est une culture pluraliste, on ne peut fonder sur elle qu’une Union fédérale ». Toute autre formule lui semble vouée à l’échec.

Cette vision a deux conséquences très importantes, l’une tournée vers l’extérieur de l’Europe, l’autre vers l’intérieur.

Conséquence vers l’extérieur :

  • la diversité est une invite à l’ouverture. Ainsi de la Suisse, faite selon lui de cultures étrangères, ce qui est dit-il une chance, puisque cela la rend directement européenne. La diversité de la culture européenne l’empêche donc, si elle veut rester vivante, de s’enfermer dans des frontières. Elle doit échanger avec les autres cultures. C’est d’autant plus nécessaire que l’Occident a exporté partout ses produits matériels, ses technologies, qui sont porteurs de notre culture et qui peuvent agresser les autres cultures.
  • Denis de Rougemont va donc développer une idée forte, celle du « Dialogue des Cultures », avec une idée, toujours valable aujourd’hui : 1) en dépit des apparences (vêtement, architecture, modes de déplacement, etc…), les cultures réelles sont loin de se rapprocher aujourd’hui ; 2) mais les contacts entre elles deviennent de plus en plus inévitables : il faut donc, non laisser faire le hasard des contacts, mais organiser ces contacts pour dégager une vision trans-culturelle de l’Homme en tant que Personne.

Car c’est en fin de compte la Personne qui est au centre de la Culture vivante, comme en témoigne cette belle citation : « Pas une seule de nos cultures n’est une fin en soi. Une culture, c’est seulement l’ensemble des moyens offerts aux hommes qui relèvent d’elle, pour s’approcher de la Vérité. Je crois que la Vérité est une, mais que son appropriation existentielle – seule valable en dernière analyse – compte autant de voies différentes qu’il y a de vraies personnes au monde et de vraies vocations personnelles ».

Intérieur :

  • les diversités qui animent la culture européenne selon Denis de Rougemont ne sont pas nationales, elles sont locales. Il met ainsi à jour ce qu’il appelle des  » foyers locaux et régionaux de création  » qui rayonnent à certaines périodes et entrent en réseaux dans l’histoire du génie européen : Vienne pour la psychanalyse et bien d’autres choses, Florence pour la renaissance, Paris, Oxford ou Bologne pour les Universités, Genève pour la Réforme, etc…
  • La culture vivante n’est ainsi pas nationale mais locale, elle ne se propage pas de bas en haut par quelque Ministère de la Culture, mais sur un mode horizontal, celui du réseau.

Ceci nous mène tout naturellement aux régions, « réinventées » par Denis de Rougemont dans les années 1960.

C’est l’époque des combats régionalistes. Il voit alors dans les régions, succédant en quelque sorte dans l’évolution historique aux communes, les vraies autonomies vivantes de la fin du XXe siècle. Il en identifie trois types :

  • Les régions ethniques ou historiques (notamment celles ayant une langue ou une culture particulière) ;
  • Les régions transfrontalières (caractérisées par la résolution de problèmes communs, au-dessus des frontières) ;
  • Et surtout, les régions comme « espaces de participation civique », lieu d’exercice de la citoyenneté concrète.

Denis de Rougemont ne faisait pas confiance aux Etats pour faire l’Europe (il parlait volontiers d’ « Amicale des Misanthropes » pour désigner l’Europe des Etats) ni pour protéger l’environnement.

Il plaçait en revanche, et pour faire l’Europe et pour développer le souci de l’environnement, toute sa confiance dans les régions, en tant qu’authentiques espaces de participation du citoyen. L’Europe se fédérerait par en bas : elle serait une « Europe des régions »- régions elles-mêmes « grappes de communes ». Quant à l’écologie, je laisserai Laurent Rebeaud en parler.

Mais avant que vous ne l’entendiez, juste un mot pour dire, et conclure, que l’Europe et l’écologie devenaient possibles, d’après Denis de Rougemont, parce que l’émergence des régions comme  » espaces de participation civique  » aurait signifié un changement radical dans la conception que nos sociétés ont du pouvoir : non plus le pouvoir que l’on exerce sur autrui, mais celui que l’on exerce sur soi-même. Telle était son utopie.

Et quand il disait utopie, c’était au sens le plus noble – celui du but à atteindre car, pour une dernière fois le citer : « Rien ne devient jamais réel qui n’ait d’abord été rêvé ».

* Secrétaire général de la Fondation Denis de Rougemont pour l’Europe

M. Claude Haegi : allocution de conclusion
Denis de Rougemont, une source d’inspiration pour l’avenir

A son ami Alexandre Marc, trois jours avant sa mort, Denis de Rougemont disait : « Nous n’avons pas encore fait grand-chose. Tu m’entends Alexandre ? Nous n’avons encore rien fait. Il faut tout recommencer…et puis aller beaucoup plus loin…chercher l’efficacité qui nous a manqué jusqu’ici. Entends-tu ? »

Alexandre Marc lui promit d’aller un tout petit peu plus loin avec les forces qui lui restaient. De faire un petit pas modeste vers une lumière qui ne s’éteint jamais.

Et nous tous dans notre pays ou ailleurs, qu’avons-nous entendu ? En fait, au-delà de la qualité de son œuvre et du respect que sa personnalité suscite, ne nous dérange-t-il pas, ne le craignons-nous pas ?

On l’admire mais on le suit peu. Pourtant, ni à gauche ni à droite ni ailleurs, on ne conteste les valeurs qu’il défend pour notre société. Nous savons en général que le tracé sur lequel il nous propose de cheminer est le bon, que ce soit sur le plan institutionnel et démocratique, sur celui du respect de la Personne et de la nature. Mais il implique des changements de comportement. Y sommes-nous prêts ? Qu’attendons-nous ? Que de temps perdu !

Parlons de la construction européenne et de la participation de la Suisse à celle-ci ! Nous devons sortir de la confrontation permanente et des seules pesées d’intérêts dans lesquelles nous nous sommes enlisés. Le premier grand débat citoyen que nous pourrions avoir, ne devrait-il pas porter sur l’analyse de nos institutions fédéralistes, leurs valeurs et les éventuelles évolutions constitutionnelles à envisager ? Cet exercice devrait être conduit, sans a priori, dans une perspective intérieure confédérale, mais aussi européenne et internationale.

Ayant redéfini les valeurs démocratiques et sociétales auxquelles nous sommes fondamentalement attachés, nous en expliquerons mieux la signification en dehors de nos frontières. La Suisse est souvent admirée et l’on envie son fonctionnement courant, plutôt consensuel. Mais elle donne aussi, de plus en plus régulièrement, l’image d’un pays qui se recroqueville égoïstement, imbu de son identité originale façonnée par plus de 7 siècles. Et pourtant, de par nos 4 langues, nos religions et nos 26 républiques ne détenons-nous pas « l’unité originelle, et peut-être future et finale, des diversités de l’Europe » se demandait de Rougemont ? Il ajoutait : « Pourquoi n’irai-je pas jusqu’à dire que notre grandeur culturelle est de n’avoir pas de culture suisse, mais seulement une culture européenne ?».

Disons-le clairement ! L’évolution de la construction politique et économique de l’Union européenne, aussi remarquable soit-elle, contient tous les ingrédients pour une révolte de Denis de Rougemont. Nous sommes maintenant un peu éloignés d’une Europe édifiée par sa base, malgré l’existence du très utile Comité des Régions. Le centralisme de l’Union parfois générateur de bureaucratie lourde, déshumanisée et souvent contraignante, ne laisse pas à la Personne et à sa région la place qui leur revient.

Elle s’inscrit dans la foulée d’une globalisation mondiale en rupture avec De Rougemont. Pourtant, cette Union, tout comme l’Organisation Mondiale du Commerce, est aussi porteuse des plus grands espoirs, et il le savait. Aujourd’hui, voudrait-il batailler à l’intérieur de l’Union ou en garder ses distances tout en restant naturellement européen ?

Ce sujet est au nombre de ceux qui dépassent les familles politiques traditionnelles. D’où l’intérêt d’un débat national serein.

En ce qui concerne l’écologie, De Rougemont a été clair. De notre comportement dépend l’avenir de la planète. Ce n’est pas l’avis d’un quidam illuminé mais d’un visionnaire, et les plus sérieux scientifiques en apportent la preuve. Le réchauffement de la planète est vérifiable, il est même irréversible, on ne peut qu’en freiner la tendance.

Alors que nous disposons des technologies permettant de recourir principalement aux énergies renouvelables, certains acteurs en retardent volontairement la mise en place et prônent non innocemment la seule relance du nucléaire. Mais le développement durable est porteur d’innovations favorables aux activités économiques, permettant de substantielles économies d’énergies sans diminuer notre confort. Nous disposons d’Ecoles polytechniques, d’Institut de recherche et de centres de compétences du plus haut niveau. Peut-on espérer qu’une majorité politique se dessine enfin pour passer des effets d’annonces aux concrétisations. La société à 2000 watts au lieu de 5000 actuellement en Suisse, est une nouvelle conception de l’utilisation de nos ressources pour un développement durable. Elle s’inscrit dans le cadre du programme Novatlantis du Conseil des Ecoles Polytechniques fédérales et d’instituts de recherches.

L’Office fédéral de l’énergie, Suisse Energie et la Société Suisse des Ingénieurs et Architectes en sont des acteurs déterminants.

C’est dans cette direction qu’il faut s’engager dans l’urgence. Nous donnerons ainsi un sens au message de Denis de Rougemont sans négliger aucune des composantes du développement durable : l’environnement, l’économie et le social. Car la preuve est faite que si la protection de l’environnement remet en cause certaines activités, elle en crée d’autres, plus prometteuses et créatrices d’emplois, s’appuyant sur la recherche et les technologies nouvelles.

Genève est internationale, puis européenne. Plusieurs institutions européennes y sont nées, s’y sont développées, mais certaines s’en sont éloignées. De Rougemont a joué un rôle déterminant pour que le cœur culturel de notre continent y batte. La villa Moynier fut le berceau d’accueil de cette pensée culturelle, mais aussi politique européenne. Aujourd’hui au Parc Mon-Repos, les lumières de l’œuvre de De Rougemont se sont éteintes. Coppet a pris, grâce à l’Institut Européen de l’Université de Genève, un autre relais, mais n’a pas fédéré (et ce n’est pas son objectif) les divers cercles et personnalités disciples de De Rougemont qui, pour consolider leur action, doivent se rapprocher.

Les relations rétablies entre la Fondation Denis de Rougemont pour l’Europe et le Centre Européen de la Culture peuvent, avec d’autres, porter un nouveau projet.

Ensemble nous proposons qu’au cœur de cette ville, on rallume les lumières qui brillaient à la villa Moynier pour en faire revivre l’esprit.

Aujourd’hui, nous avons le devoir de régénérer la révolte constructive de Denis de Rougemont. Au verbe par lequel tout débute, nous ajouterons les actes concrets qui lui donnent un sens. Bon anniversaire Denis !

Articles de presse

 

Genève célèbre les 100 ans de Denis de Rougemont
Claude Haegi et François Saint-Ouen
L’Extension 21.09.2006
Denis de Rougemont, conscience de la Suisse, conscience de l’Europe
François Saint-Ouen
Le Temps 11.09.2006
Denis de Rougemont, ouvrier intellectuel
Interview du Pr. Gilles Petitpierre
Le Temps 8.09.2006
de Rougemont, l’intellectuel au service de la Cité
Olivier Pauchard
Swissinfo 19.09.2006
« L’amore non si pesa in lacrime »
Clemente Mazzetta
Il Caffè 10.09.2006
De Rougemont, una sintesi di federalismo e personalismo
Moreno et Yari Bernasconi
Giornale del Popolo 9.09.2006
Denis De Rougemont, coraggioso pionere del federalismo europeo
Yari Bernasconi
Giornale del Popolo 8.09.2006
Eine Stunde – und ein Leben
Iso Camartin
NZZ 8.09.2006
Held ohne Nachruhm / Europa vergißt Denis de Rougemont
Jürg Altwegg
F.A.Z. 06.10.2006
L'Avenir de l'Europe : entre rêve et réalité

Denis de Rougemont, l'Européen

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